jeudi 7 août 2025

Pourquoi Gaza ?

 Parmi les raisons du caractère crucial de la situation de Gaza, il y a d’abord le fait que 80% des personnes qui y vivent sont déjà des réfugiés de la guerre de 1948. Ils ont été chassés de leurs terres et villages par ce qu’Israël appelle sa “guerre d’indépendance”.

Il y a bien d’autres lieux sur la planète qui sont dévastés par des guerres d’une brutalité impitoyable. Ne parlons que de l’Afrique de l’Est, du Soudan à la région des grands Lacs, pour ne rien dire de la Birmanie. Ils apparaissent à l’occasion dans les préoccupations du monde et de ses dirigeants. Mais Gaza s’impose à l’attention du monde entier d’une manière singulière.

Les générations qui s’y sont succédé ont toutes dû faire face à des violences de diverses origines, sous un protectorat égyptien jusqu’à la guerre des Six Jours, puis sous l’occupation militaire d’Israël avec la pression de la colonisation jusqu’en 2005. La situation actuelle relève d’un dispositif israélien qui a commencé à se développer en 2005. Israël a alors décidé que Gaza ne relevait pas de la “Terre d’Israël” et a retiré son armée en même temps que ses colonies étaient démantelées. Mais en gardant le contrôle de tous les accès.

Le dispositif israélien reposait sur le principe colonial “Diviser pour régner”. L’Autorité palestinienne mise en place à la suite des accords d’Oslo en 1993 s’est vu opposer à Gaza, avec le soutien d’Israël, un mouvement hostile, le Hamas, proche des Frères musulmans en Égypte. Après des affrontements entre Palestiniens, le Hamas et ses alliés ont expulsé de Gaza les représentants de l’Autorité palestinienne et ont pris le pouvoir, après une élection locale qui leur a donné une majorité en 2008.

Gaza aurait ainsi pu être, en 2005, le premier pôle territorial cohérent d’un État palestinien. Mais dès ces années, des gouvernements israéliens de plus en plus radicaux ont peu à peu vidé de tout contenu le processus d’Oslo dans son ambition de faire coexister pacifiquement un État Israélien et un État palestinien. Cette “solution à deux Etats” a été ratifiée par les Nations-Unies et reste encore aujourd’hui la position de principe de la communauté internationale. Sauf que l’un des deux États, celui qui contrôle et occupe la totalité de la Palestine, Israël, a définitivement exclu toute souveraineté palestinienne. L’actuel Premier ministre israélien a donné les assurances les plus formelles que jamais il ne tolérerait l’existence d’un État palestinien, même embryonnaire. Dès 2005 la politique d’Israël s’orientait dans ce sens. Israël a alors profité de l’accès au pouvoir du Hamas à Gaza pour le déclarer terroriste et instaurer un blocus du territoire qui lui enlevait toute possibilité de se développer en un État viable. Il est devenu une “prison à ciel ouvert” pour 2,2 millions de Palestiniens, pour la plupart, on l’a dit, réfugiés ou descendants de réfugiés.

Le tournant décisif est celui de l’investiture du gouvernement d’extrême-droite dirigé par le Premier ministre actuel, en décembre 2022. Son objectif n’était pas de “résoudre le problème de la Palestine” mais de s’emparer des terres en déportant leurs habitants. Dès le début de 2023 la pression de l’armée et des colons s’est accrue en Cisjordanie et les meurtres d’Arabes palestiniens se sont multipliés, suivis d’expulsions d’agriculteurs et de saisie de terres. Il en résulte qu’en 2025 environ 90% du territoire occupé de Cisjordanie est la propriété d’Israël, soit comme terre de colonie, soit comme zone militaire. Les plus de 2 millions d’habitants arabes de Cisjordanie sont de plus en plus nombreux à être privés de leurs terres et réduits à l’inactivité.

Depuis 2008, à plusieurs reprises, ont eu lieu des affrontements entre les groupes armés palestiniens de Gaza, utilisant des roquettes, et l’armée israélienne, qui boucle la zone. L’épisode de 2015 a été particulièrement sanglant pour la population de Gaza avec plus de 1500 morts. En 2023 semblait s’être installé un statu quo dans une situation de siège et de conflit armé à basse intensité. Cela allait dans le sens des “accords d’Abraham” promus par Donald Trump pendant sa première présidence. Ils avaient conduit à une quasi-normalisation entre Israël et les principaux pays arabes. La question de l’existence des Palestiniens et de leur statut semblait en passe d’être oubliée, du côté aussi bien des puissances occidentales que des grands États arabes.

Israël dispose d’un système de renseignement parmi les plus sophistiqués du monde, d’autant plus performant qu’il s’appuie sans réserve sur les moyens des États-Unis. Il a transmis les alertes qu’il détectait à Gaza, où le gouvernement dominé par le Hamas s’inquiétait de se voir soumis de manière durable à une condition de siège dont nul ne se souciait plus. Des sources comme le New York Times ont donné l’information selon laquelle les services de renseignement israéliens étaient prévenus, largement avant le 7 octobre, d’une offensive inédite à venir depuis Gaza. Pourtant tout a été fait pour que l’attaque du 7 octobre 2023 apparaisse comme une surprise absolue. On ne peut pas ne pas y voir une volonté politique identique à celle qui était à l’œuvre en Cisjordanie, d’en finir une fois pour toute avec la présence palestinienne à Gaza.

La suite est sous nos yeux. Des mois de guerre, des otages, une détermination des mouvements palestiniens d’autant plus inflexible qu’ils ont vu “éliminer” tous leurs dirigeants en place par les divers moyens dont disposent les forces israéliennes. Les bombardements massifs n’en constituent qu’une face. On a le sentiment qu’il y a une certaine logique suicidaire parmi les militants palestiniens de Gaza, qui ne sont justement pas des militaires : “Nous sommes de toute façon condamnés, entraînons dans la mort autant d’ennemis que nous le pouvons”. La pratique de la prise d’otages est indéfendable de tous les points de vue, aussi bien moraux que politiques, car elle a détourné de la cause palestinienne de nombreux soutiens internationaux. Elle apparaît relever de cette même logique suicidaire : il n’y a pas d’autre moyen que cela pour faire face à la mort des combattants et à l’assujettissement du peuple. Les appels à la négociation et au cessez-le-feu ont peu de chances de déboucher. On ne peut malheureusement s’attendre qu’à de longs mois de souffrance et de désespérance. Face à la cinquantaine d’otages israéliens dont le sort reste incertain, survit une population de 2 millions sans doute de personnes, désormais otages arabes d’Israël.

Parmi eux, une majorité de femmes avec leurs enfants en bas âge. Plus d’un million de femmes et d’enfants en otages, massacrés, sans armes : cela ne se présente en aucun autre conflit. Rappelons que jamais les femmes de Palestine n’ont pris les armes, à la différence des femmes israéliennes qui font toutes leur service dans l’armée.

“Chrétiens de la Méditerranée” a des raisons propres d’être concerné par la situation à Gaza. De longue date nous sommes en relation avec des habitants de Gaza et ce qui les atteint nous touche directement. Parmi eux, il y a Ziad Medoukh, professeur de français à l’Université, avec ses étudiants. Il n’a jamais caché son opposition politique à l’islamisme et à toute confessionnalisation de la situation palestinienne. L’un de ses livres a pour titre éloquent : “Être non violent à Gaza”.

J.B. Jolly, Administrateur de CDM

mercredi 11 juin 2025

https://www.garriguesetsentiers.org/2025/06/gaza/israel-aimer-vraiment-son-prochain-ne-plus-se-taire.html

Sur les murs de ma synagogue sont gravés quelques mots tirés d'un des versets les plus célèbres (et les moins bien compris) de la Bible :

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

 

L’adage, à la manière d’une « tarte à la crème », énonce la bonne conscience des religions monothéistes : on s’en gargarise comme pour se convaincre qu’au fond, on ne se veut que du bien. C’est charmant mais on sait que ces mots n’ont jamais empêché qui que ce soit de recourir à la violence, à l’intolérance ou au prosélytisme. L’autre a certes tout notre amour, dès qu’il est notre « prochain » mais, à l’instant où il se fait un peu « lointain », de nos croyances ou nos convictions, mérite‐t‐il encore notre attention ?

Le phénomène n’est pas propre aux religions. Tendez l’oreille vers tant de discours actuels, polarisés à l’extrême. La méfiance est radicale vis à vis du « salaud » d’en face. Et c’est particulièrement vrai quand il s’agit de débattre du Proche‐Orient.

 

Très vite, chacun défend son « prochain » (et uniquement lui !), et la parole se censure… On se tait pour éviter de fournir la moindre munition au « camp » d’en face. Toute autocritique menace l’union sacrée, se fait traîtrise ou, pire, carburant pour un ennemi qui cherche à nous détruire. Alors Chut… taisons‐nous plutôt que de faire le jeu d’une quelconque récupération. Il en va de la sécurité de nos idées ou de nos enfants.

Moi‐même, j’ai ressenti souvent cette injonction au silence. J’ai parfois bâillonné ma parole, pour éviter qu’elle ne nourrisse les immondices de ceux qui me menacent, ceux qui diabolisent et déshumanisent un peuple, et s’imaginent aider ainsi un autre. J’ai censuré mes mots face à ceux qui trouvent des excuses à une déferlante antisémite « ici » au nom d’une justice absente « là‐bas ». J’ai entendu dans leur bouche les accords d’une haine ancestrale, la mélodie de ceux qui sont convaincus d’être du bon côté de l’Histoire.

 

Je me suis tue mais, aujourd’hui, il me semble urgent de reprendre la parole. Je veux parler, au nom de « l’amour du prochain » ou plutôt de ce que ce verset biblique (si mal traduit) en dit vraiment.

Il est écrit : « Si tu sais adresser des reproches à ton prochain » et alors : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cet amour n’a rien d’inconditionnel ou d’aveugle. Il implique au contraire, dans la Bible, d’ouvrir les yeux d’un proche sur ses fautes, et de tendre dans sa direction un miroir pour qu’il s’observe.

C’est donc précisément par amour d’Israël que je parle aujourd’hui. Par la force de ce qui me relie à ce pays qui m’est si proche, et où vivent tant de mes prochains. Par la douleur de le voir s’égarer dans une déroute politique et une faillite morale. Par la tragédie endurée par les Gazaouis, et le traumatisme de toute une région.

 

Comme beaucoup d’autres Juifs, je veux dire que mon amour de ce pays n’est pas celui d’une promesse messianique, d’un cadastre de propriétaire ou d’une sanctification de la terre. Il est un rêve de survie pour un peuple que personne n’a su ou voulu protéger et il est le refus absolu de l’annihilation d’un autre peuple pour le réaliser. Il est la conviction, déjà énoncée par ses fondateurs, que cet État doit être à la hauteur d’une histoire ancestrale et, selon les termes de sa déclaration d’Indépendance, « tendre la main » à tous les pays voisins et à leurs peuples.

 

Cet amour d’Israël consiste aujourd’hui à l’appeler à un sursaut de conscience…
Il consiste à soutenir ceux qui savent que la Démocratie est la seule fidélité au projet sioniste.
Soutenir ceux qui refusent toute politique suprémaciste et raciste qui trahit violemment notre Histoire.

 

Soutenir ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs à la souffrance terrible des enfants de Gaza.
Soutenir ceux qui savent que seuls le retour des otages et la fin des combats sauveront l’âme de cette nation.
Soutenir ceux qui savent que, sans avenir pour le peuple palestinien, il n’y en a aucun pour le peuple israélien.
Soutenir ceux qui savent qu’on n’apaise aucune douleur, et qu’on ne venge aucun mort, en affamant des innocents ou en condamnant des enfants.

C’est seulement par ce soutien que s’énonce un véritable amour du prochain. Pas comme une promesse niaise et inconditionnelle, mais comme une exigence morale qui doit préserver l’humanité de chacun d’entre nous, et permettre au « prochain humain », c’est-à-dire une génération à naître, de connaître autre chose que la haine.

Delphine Horvilleur

 

Delphine Horvilleur est directrice de la rédaction de Tenoua. Ordonnée rabbin au Hebrew Union College en 2008, Delphine est depuis lors rabbin au MJLF (JEM) à Paris. Elle a pris la tête de Tenoua en 2009.

Elle est l’auteure de nombreux ouvrages dont le dernier, Euh... Comment parler de la mort aux enfants, paru  en avril 2025 aux éditions Bayard et Grasset. 

mardi 25 mars 2025

 « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. »

« La question de Pierre à Jésus : “Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ?” (Mat 18, 21) 
est devenue une question d’actualité publique sous la pression tragique de l’histoire. Peut-on promouvoir la réconciliation des personnes et des groupes sans favoriser l’oubli des crimes ? …
Le pardon des offenses et l’amour des ennemis sont parmi les points les plus caractéristiques de l’enseignement de Jésus ; ils se signalent l’un et l’autre par leur radicalité. Mais ils sont, l’un et l’autre, un acte tout gratuit, qui ne donne aucune assurance qu’un autre en usera pareillement à notre égard… Quiconque fait l’expérience du don accède au royaume de la gratuité et découvre que c’est elle, et elle seule, qui accomplit la perfection des relations humaines, la perfection de la liberté libérée de ses entraves. La liberté se prend en se donnant. Personne n’est vraiment libre, vraiment humain, tant qu’il fait d’un autre son esclave en le soumettant à la violence de son droit, tandis que l’acte de gratuité du don est l’expérience d’un enrichissement en humanité. Les chances que le pardon l’emporte sur la violence, c’est la contagion de la liberté. La force du droit est à elle seule incapable d’éradiquer la violence puisqu’elle en fait usage ; seule peut la désarmer la renonciation de l’offensé à son droit… Utopie ? Sans doute, les paraboles du Royaume sont utopiques comme l’est le Royaume. Mais l’utopie n’est pas dépourvue d’efficacité, car elle agit puissamment sur le cœur des humains. Encore faut-il qu’elle ait une inscription dans les réalités de l’histoire. La puissance des paroles de Jésus sur les hommes, c’est de leur proposer un exemple à imiter, celui de “votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes” » (Mat 5, 45).

Joseph Moingt

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